Cher Théo,
je t’écris cette lettre ouverte que j’avais envie de t’écrire depuis
longtemps … parce que tu n’as pas vraiment aimé La face cachée de Margo, alors que moi, comme tous les romans de
John Green, il m’a beaucoup ému, et touché. Autant dire que c’est aussi l’occasion
de le chroniquer, mais surtout d’essayer de te convaincre. J’ai l’espoir qu’en
ayant fini la lecture de cette lettre, tu revois un peu ton opinion, tu aies
une vision nouvelle du roman et peut-être commences à l’aimer un peu plus …
Qu’est-ce qui ne
t’a pas plu au final ? L’ennui, dis-tu, l’ennui que tu as ressenti pendant
une bonne partie du roman, son milieu … le milieu, c’est cette partie de
mystère, quand Margo a disparu, quand elle est partie et que Quentin cherche à
percer le mystère des indices qu’elle semble avoir laissé derrière elle et qui
le mèneront jusqu’à elle.
Si tu avais lu
d’abord Qui es-tu Alaska ?,
j’aurais pu comprendre cet ennui, car avec La
face cachée de Margo, John Green a du mal à se défaire de son premier
roman. Il reste, comme Miles pour Alaska, la fascination de Quentin pour une
fille qui lui semble si mystérieuse, Margo ici. Il reste le caractère rêveur du
personnage principal qui semble vivre passivement ce qu’il lui arrive,
spectateur de ces évènements, profitant du bonheur qu’ils lui procurent, qui ne
prend les choses en main que lorsque la situation paraît désespérée, en tout
cas désespérante. Ce n’est que dans la dernière partie, c’est bien vrai, que La face cachée de Margo prend son envol,
devient vraiment original, prenant et vivant.
Mais doit-on pour
autant dénigrer le début ? N’est-ce pas justement celui-ci qui donne à la
dernière partie tout son sens ? Le début a un rythme lent, moins effréné,
plus contemplatif. Quentin recherche et une quête n’est pas rapide, pas facile,
et elle peut être longue, voir ne jamais aboutir, un peu comme ce fut le cas
dans Qui es-tu Alaska ? justement.
Il serait facile pourtant
de dire que La face cachée de Margo
aurait pu s’appeler Qui es-tu
Margo ?. En fait, c’est plus profond, plus subtil que cela. La
première partie du roman, qui entraîne aussitôt le lecteur dans une nuit
rocambolesque où Margo embarque Quentin dans son plan de vengeance, pose les
bases de tout le roman, le mystère entourant Margo, l’amour de Quentin pour
elle, et leur relation tâtonnante, étonnante, énigmatique. Elle a su te
séduire, te captiver, tu as su la percer à jour.
La dernière
partie est trépidante, en forme de road-trip où 4 amis traversent l’Amérique
pour essayer de retrouver Margo, le jour de la remise des diplômes. C’est
frais, plein de bonne humeur, de rires, et cette troupe déjantée nous fait voir
les choses avec l’œil grand ouvert, pétillant, avec espoir.
Et entre les
deux, Théo ? Qu’est-ce qui caractérise cette partie centrale qui n’a pas
réussi à t’accrocher ?
Réédition |
La face cachée de Margo est un roman
d’apprentissage, un roman initiatique où Quentin cherche à trouver qui il est,
cherche à comprendre le monde, l’amour, la vie, et à s’affirmer. Au début, il
ne vit que par l’amour de Margo, il la voit comme une divinité, parfaite,
mystérieuse, séduisante. A la fin, il décide de partir, il affirme son choix et
embarque dans la voiture de ses parents 3 de ses amis, une motivation sans
faille et l’espoir. Il a compris qui il est, ce qu’il voulait faire, là, maintenant
pour être heureux, et il a peut-être commencé à cerner ce qui caractérise
l’amour et ce sentiment profond qu’il voue à Margo.
Entre les deux,
Théo, c’est le chemin qu’il parcourt. Sa quête, sa recherche des traces
laissées par Margo l’amène à penser, réfléchir et prendre du recul sur ce qu’il
vit.
Il comprend que
la ville dans laquelle il vit, et le monde, et les gens, ne sont que de papier.
Ils brûlent l’avenir en ne cessant de vivre que pour celui-ci. Ils veulent le
confort et l’assurance d’un futur agréable et n’arrivent finalement pas à vivre
dans l’instant et à vivre pour l’avenir du monde plutôt que leur propre et
insignifiant avenir.
« Puis la durée de vie s’est allongée et les gens ont eu de plus en plus d’avenir et par voie de conséquence ils ont consacré plus de temps à y réfléchir. A l’avenir. Et aujourd’hui la vie est devenue l’avenir. Chaque instant est vécu pour l’avenir. »
Il comprend que
l’amour a tendance à diviniser la personne aimée, alors qu’elle n’est au final
rien d’autre qu’un être humain comme nous, avec ses qualités et ses défauts. Il
prend conscience, comme le lecteur peut le saisir, le comprendre et peut-être
même l’approuver, que personne n’a plus de valeur que les autres, cette valeur
n’existe que parce que nous lui accordons une attention.
« Mais ne nous est-il pas fondamentalement difficile de comprendre que les autres sont des humains au même titre que nous ? On a tendance à les idéaliser comme des dieux, ou à les rejeter comme des bêtes.
-
Tu as raison. La conscience tend à créer des
fenêtres limitées. »
Il découvre la
peur, la solitude, le voyage, le mystère, les questions sans réponse, la
liberté. Il découvre qu’on peut, seul, s’échapper et se heurter à la vie afin de
mieux en saisir les limites. Mieux en saisir les limites pour mieux les briser.
« Je ne sais pas à quoi je ressemble, mais je sens comment je me sens : jeune. Idiot. Eternel. »
Enfin, il
comprend qu’une personne existe à travers les autres. Ce n’est que parce que
les autres en ont chacun une vision que cette personne se construit et se
définit. Nous sommes tous des êtres aux multiples facettes qui sont façonnées
sont le regard de ceux qui nous entourent. Ainsi sommes-nous difficiles à
cerner, à comprendre et à saisir. Notre profondeur et notre multiplicité est
telle qu’en comprendre l’ensemble est impossible.
« J’ai senti alors nos fils qui n’avaient pas rompu, celui de Margo, le mien, courir de notre petite enfance jusqu’à cette nuit en passant par le type mort et le cercle de nos relations. J’ai eu envie de lui dire que le plaisir ne résidait pas dans les préparatifs, ni dans le faire faire ou de partir, le plaisir était de constater que nos cordes se croisaient, se séparaient et se retrouvaient. »
Voilà, cher Théo,
mes mots sont peut-être maladroits, ils essayent juste de transmettre avec
sincérité ce que j’ai perçu de ce roman parfois fragile mais profond, touchant
et passionnant. Chaque chapitre de ce roman trouve son sens dans cette fin si
émouvante. « Le signe extérieur de l’invisible lumière » c’est la
quête de Margo, qui est passée par la poésie, par où elle vit, par ce qu’elle
lit, écoute, aime, par l’autre, par ses amis, par le passé, le présent et
l’avenir. Cette quête qui prend racine dans une mystérieuse nuit vengeresse et
se poursuit dans une longue, difficile, tortueuse mais fondamentale recherche.
A laquelle tu n’as pas accroché, j’y consens. Mais j’espère que tu auras pu
saisir à quelle point elle est essentielle et profonde. C’est parce que cette
quête existe qu’enfin Quentin, « à travers les fentes de
l’obscurité », voit Margo presque parfaitement. Ce presque, c’est
l’ineffable mystère de l’être humain, que personne jamais ne pourra éclairer.
Bien à toi, mon
cousin,
Nathan
6 commentaires:
J'aime bien cette "habitude" (oui, deux articles, ça reste ponctuel) que tu prends de nous livrer des lettres ouvertes. C'est joli, c'est doux, le ton est intime et plus chaleureux que dans un article classique... Et ta plume n'en est que sublimé ! Peut-être qu'un jour tu écriras un joli roman qui dira "tu". :)) Au plaisir de te lire, encore, toujours !
Tu m'as donné envie de le découvrir :D
Magnifique, profond, sensible, parfait ♥
Cette lettre ouverte est très agréable à lire!!
Je n'ai pas adoré "La face cachée de Margo" comme je m'y attendais, mais j'ai passé un excellent moment de lecture tout de même. Le style de John Green est parfait.
J'aime beaucoup cette forme de lettre ouverte !
C'est un très bel article. C'est bizarre c'est comme si ça m'avait apaisé le temps d'une lettre! ^^ Quoi qu'on pense de ce livre, que je lise des avis positifs ou négatifs, j'ai décidé de lire tous les John Green après avoir lu une merveille comme TFIOS et une "bouse" (à mon goût^^) comme Le théorème des Katherine! :p
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