6 questions à Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini | Mots rumeurs, mots cutter ♥

"J'attends. Que demain arrive." Les mots de Luciole se déversent avec délicatesse des hauts-parleurs de mon ordinateur portable au moment où je commence cet article. "J'attends" disaient il y a quelques jours les écoliers, collégiens, lycéens qui s'apprêtaient à faire leur rentrée et stressaient ou bien encore s'enthousiasmaient de revoir leurs copains, avoir leurs nouveaux emplois du temps, profs, établissements, ... "J'attends" disent-ils sans doute maintenant après le début et en cochant les cases du calendrier qui les séparent des vacances. Non ? Allez, avouez ...
Un peu marre de la rentrée non ? On ne parle que de ça sur facebook, twitter, à la télé, à la radio ... et même sur le blog. Un peu plus discrètement que l'an dernier oui, mais l'été semble prendre fin. Alors si on arrêtait à moitié. Si on attendait autre chose que la rentrée.
"J'attends" Mots rumeurs, mots cutter.
Allez, dites-le. Il sort demain.
On ne sait plus finalement où commence l'une, où commence l'autre, les deux auteures unissent leurs deux arts pour n'en faire qu'un et c'est brillant, poignant, sans jamais oublier de rappeler au lecteur que même dans les pires moments, il y a l'espoir. Une main tendue, un sourire et l'avenir peint de jours meilleurs. (extrait de ma chronique)
http://bouquinsenfolie.blogspot.fr/2013/03/du-rouge-du-sucre-tagada-power.html

 "J'attends. Que demain arrive." Vous ne pourrez plus que le dire, si ma chronique, en entière ici, ne vous a toujours pas convaincue, une fois que vous aurez lue l'interview de Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini. Merci à elle, en si peu de temps, juste pour la rentrée et la sortie de ce roman graphique, d'avoir accepté de répondre à ces quelques questions.

Comment vous organisez-vous dans l'écriture de vos bandes-dessinées et plus particulièrement dans le travail de cette série ?
Charlotte Bousquet: D’abord, il y a la thématique, dont on discute ensemble, généralement, et que l’on propose à Paola Grieco, notre éditrice. Ensuite, vient le texte. Je l’écris comme une courte histoire, avec des chapitres, et à la première personne – c’est je crois l’une des caractéristiques de notre travail, à Stéphanie et moi, un aspect intimiste qui se traduit à la fois par le style et le dessin. Cela étant, si Rouge tagada était au départ très écrit, j’ai pris un peu de bouteille au fil des scénarii, qui ressemblent maintenant plus à de « vrais » scénarii qu’au début. Du coup, le découpage, que nous effectuons généralement à deux, se fait plus facilement. La suite, c’est à Stéphanie de raconter…
Stéphanie  Rubini: Nous essayons le plus possible de nous voir (en vrai) quelques jours pour le découpage du scénario. Malheureusement depuis mon déménagement à Rennes, je viens beaucoup moins sur Paris que lorsque j'habitais à Lille... Je fais des propositions de mise en scène, Charlotte complète les dialogues quand c'est nécessaire. Bref le texte de départ est un peu trituré (mais toujours dans le respect du texte) pour en faire un livre d'image et de mise en scène.
Quelle est d'ailleurs la genèse de cette série ?
CB : Une genèse double. Au départ, un court roman, Rouge tagada, que j’ai proposé à Stéphanie avec un vague « on pourrait essayer d’en faire quelque chose », puis une réaction enthousiaste de Paola Grieco et Marie Rebulard, la naissance de la collection Graphiques. Ensuite, la photo de classe dessinée par Stéphanie, qui est devenue le fil rouge de la série (on la retrouve, sous différentes formes, dans chacun des tomes) : comment ne pas avoir envie de raconter d’autres histoires, de donner vie à ces collégiens ?
SR: Charlotte a tout dit je crois. Effectivement c'est une suite de bonnes décisions et un travail d'équipe qui sont à l'origine de cette série.
 Et celle de Mots rumeurs, mots cutter ?
CB : Ayant, adolescente, été victime de harcèlement scolaire, je suis très sensible à ce sujet. J’avais envie depuis longtemps d’écrire quelque chose à ce propos, mais je ne savais pas par quel bout le prendre, je n’avais pas trouvé la bonne manière de l’aborder. Avec la série que nous créons, Stéphanie et moi, autour de cette classe de 4ème D, c’est devenu une évidence. Nous en avons un peu discuté, nous sommes tombées d’accord sur l’identité de l’héroïne, et voilà… Ce qui a été vraiment génial, dans ce tome, c’est que Stéphanie a réussi à faire passer, dans son dessin, ce qui n’était pas exprimable – parce que trop dur, trop cru, etc.
SR: Effectivement tout l'enjeu était de traiter ce thème de manière frontale, mais sans basculer dans l'horreur ou le pathos (que je déteste). Je savais que mon trait naturellement un peu naïf adoucirait les situations les plus dures. Nous avons toutes les deux repensé à ce que les plus faibles subissaient au collège. Bien que dans le groupe des élèves intellos et bizarres, je n'ai personnellement pas été victime de harcèlement Mais je voyais des camarades maltraités tous les jours.
 
Vous retrouvez-vous dans les personnages que vous créez ?
CB : Oui, toujours, parce que je crée à partir de moi – mes tripes, mon cœur, mes peurs, mes envies, tics, etc. Pour Mots cutter, mots rumeurs, je suis allée gratter du côté de mon adolescence. Pour Lune et l’ombre, c’est moins visible, mais je fais appel à des souvenirs, des émotions, des petites madeleines, en somme. Même les personnages qui me ont étrangers, j’essaie de les comprendre, de trouver le moyen de me les approprier. Sinon, je crois que cela ne fonctionnerait pas.
SR: Oui, même si comme je l'ai dit plus haut je n'ai jamais été victime de rumeurs ou de harcèlement comme Léa. Mais je connais la pression du groupe, la violence symbolique et réelle qui peut régner dans une cours de récréation. Une simple remarque blessante (sur mes cheveux, mes vêtements toujours trop courts et ringards) pouvait casser et me faire douter pendant des semaines. Le collège c'est la jungle, je n'ai pas d'autre mot...
 
Pensez-vous que les mêmes histoires auraient pu être racontées avec le même impact sans illustrations ?
CB : Même si, au départ, Rouge tagada était prévu sans, je pense que le récit n’aurait pas eu cette force sans la présence des dessins de Stéphanie. Quant à Mots rumeurs, mots cutter, il n’aurait jamais vu le jour, tant les dessins sont importants. Ce qui est génial, avec cette série, et avec le roman graphique en général, c’est que c’est une création à quatre mains, deux cerveaux et pas mal de discussions…
SR: Oui mais pas de la même manière. C'est la même chose que de comparer un roman et son adaptation au cinéma. Ce sont deux objets différent. D'ailleurs, pour moi (dans l'idéal) la BD est plus proche du cinéma que du roman. 
Et la suite de la série ?
CB : La suite est prévue pour 2015. Un troisième opus, qui évoquera les rapports frère/sœur et la difficulté d’être soi. Chloé, la petite goth emo de Mots rumeurs, mots cutter, est au centre du récit. Pour l’occasion, un jeune mangaka, Léo S. viendra faire quelques incursions en images. Si tout se déroule selon le planning prévu, le quatrième tome, prévu à la rentrée 2015, ouvrira une nouvelle série – ou une nouvelle phase –, puisqu’on retrouve les personnages trois ans plus tard, l’année du bac français !
SR: Oui, je travaille actuellement sur le tome 3 et c'est un vrai marathon. Je trépigne d'avance de commencer la prochaine série dont parle Charlotte, parce que dessiner tous les personnages 3 ans plus tard sera un sacré challenge. Les rapports entre les uns et les autres aura changé. Les coiffures et les styles vestimentaires aussi.
...

"En tout cas, je ne cesse de me dire qu’à côté du lycée, je ne retournerais au collège pour rien au monde. J’ai vraiment l’impression de vivre à fond depuis que je suis entré en seconde. Le temps s’écoule bien plus vite qu’avant, mais il y a le théâtre, les amis, les découvertes, les chemins qui se tracent devant moi. Encore faut-il choisir le bon ; mais je peux me tromper. J’ai encore le temps." C'est ce que j'écrivais il y a un an. Et ça me semble toujours particulièrement vrai, bien que le lycée soit terminé.
"L'autre jour j'y repensais et je me disais que le collège c'est se jeter dans le grand bain des adultes sans la censure et l'auto censure qui va avec." Me confie Stéphanie, en regard de l'interview. "Les adultes ne sont pas plus tendres entre eux (cf le milieu de l'entreprise atroce)." Je trouve ça vrai. Dur mais vrai.
Heureusement, l'amitié est là pour vous aider à traverser les épreuves que l'école peut malgré tout vous opposer. Et certains vivent très bien le collège et la suite. Je vous le souhaite. La vie ne cessera pas de vous surprendre.
Et si cela ne suffit pas, la lecture, celle par exemple de ce sensible roman graphique, sera toujours là pour vous rappeler qu'une main tendue vous attend quelque part. 

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