Ne perdons pas de
temps, plantons le décor. Nous sommes dans le futur, un futur … pas si lointain
que ça. L’humanité disparaît. Les raisons sont floues, mais on aperçoit une
guerre nucléaire, des conflits non réglés, des armes chimiques. Une vision de notre
avenir sombre, pessimiste peut-être … mais loin d’être absurde. Il suffirait de
si peu pour que tout dérape et aille s’écraser contre le mur de la cruauté
humaine. Il suffirait de si peu pour provoquer l’extinction de l’espèce
humaine. Nous sommes dans ce contexte post-apocalyptique … et dans ce décor
poussiéreux, en ruines et inquiétant, il y a quelques robots qui commencent à
se rassembler … dans la même ville. Tous ont la même question en tête :
pourquoi ?
On s’accroche un
peu difficilement aux premières lignes, mais juste aux premières lignes, le
reste coule de source. Il a suffi de quelques pages pour que je sois captivé
par cette histoire. Cette histoire que nous conte un robot, un « robot
biblio ». Au-delà d’un style dissimulant une fascinante profondeur, il y a
d’abord une maîtrise de la langue et du récit épatante. Loïc le Pallec est loin
de se contenter de raconter une histoire, il la pousse à bout. Le robot
analyse, réfléchit, met en lien ses données pour trouver le meilleur mot, la
meilleure syntaxe … le meilleur style possible. Et même bien plus, les phrases,
les dialogues, les échanges sont truffés de termes techniques se reportant à la
robotique qui donnent au livre un charme particulier, qui colle des sourires
sur le visage des lecteurs, qui témoigne du talent indéniable de cet auteur qui
publie là son premier (et j’espère non le dernier !) roman. C’est là que
réside la première connexion, euh … le premier lien entre No man’s land et son
lecteur … déjà charmé. Ce lecteur qui va découvrir au fil des pages une
intrigue rondement bien menée, un univers maîtrisé et bien ficelé et une
histoire passionnante, touchante, étonnante.
" - Ton inclination à la proximité entraîne une fluctuation de mes algorithmes qui mérite une analyse plus poussée !- J'ai du mal à te décoder...- En d'autres mots, un robot qui fait preuve de curiosité suscite automatiquement mon intérêt. (...) Il va falloir coordonner nos paramètres idiomatiques... Les multiples analogies de la langue ne rendent pas forcément la tâche facile... D'après mes estimations, cela ne devrait cependant pas nous empêcher d'établir un niveau de communication acceptable. Moi c'est Meph, et toi ?"
Ces robots donc,
dans les ruines d’un monde sans humains, se mettent à construire leur propre
communauté. Chacun trouve sa place selon ses fonctions. On se choisit une
maison. On l’aménage (pour les plus excentriques …), on se met petit à petit à
suivre un rythme … humain. Travail, alimentation, recharge. Et parmi cela les
rencontres, les moments passés ensemble, les évènements particuliers. Ces robots
sont perdus. Ils sont soudainement plus que des êtres de ferrailles asservis
aux humains, ils ont des responsabilités, des idées, des fonctions, des « chez-eux ».
Une conscience, la pensée. Ils vivent. Ils ressentent.
"Je peux analyser des faits, tirer des conclusions; mais si je suis à présent en mesure de choisir, quels pourront être mes critères de sélection ?"
C’est là que
commence une réflexion très intéressante. La conscience en effet, amenant la
pensée, l’interrogation, la réflexion, la raison, est-elle typiquement humaine ?
Aussi ces radiations, ou que sais-je encore !, seraient –elles responsables
de ce changement radical chez ces robots ? Et pour eux, comment apprendre
à penser alors que leur existence avant cela n’a été que soumise à des
fluctuations, des données, des chiffres ? On en vient à se demander si les
robots peuvent vraiment ressentir. On en vient à se dire : et si les
Hommes n’étaient pas si éloignés que cela de ces machines qu’ils ont
créées de toutes pièces ?
Les questions qui
en découlent sont vertigineuses. Les robots s’interrogent sur leur propre
existence, sur l’existence des humains, sur ce qui les lient. L’auteur en
arrive alors à cette profonde conclusion. Et si les humains, à travers les
robots, tentaient de reproduire le mystère de leur création ? Aussi si l’Homme
ignore l’origine de son existence, et se perd dans sa recherche, dans ses
guerres de religion, dans la science et la technologie, le robot, lui,
connaissant son créateur et celui-ci ayant disparu, peut s’épanouir et
construire, avec tous les autres, son utopie.
L'égocentrisme qui a conduit les humains à désavouer les principes mêmes de la vie demeure pour nous une énigme.
Ces petits robots
donc, tous différents mais qui se complètent à merveille, séduisent notre cœur de
lecteur. Leur sensibilité est touchante, leurs relations attendrissantes, leurs
caractères plus ou moins électriques mais leur intelligence bel et bien
présente. C’est fascinant, excitant, exaltant ! Oui, je me suis
terriblement attaché à ces êtres de métal qui font, parfois, mépriser l’Homme,
bien que nous-mêmes en soyons. Archi devient notre meilleur ami, Meph est
amusant, divertissant, et pétillant, Domo imposant mais doux, Eliza séduisante…
Cet ensemble d’être désormais soudés, solidaires et même amis en viennent à
petit à petit laisser de côté leurs Pourquoi. Pourquoi sommes-nous là ?
Pourquoi avons-nous tous été attirés par cette ville ? Pourquoi
pouvons-nous désormais penser ?
Ne disait-on pas
à l’Antiquité déjà « Errare humanum est » - « L’erreur est
humaine » - ?
Or nos
protagonistes ne sont-ils pas des robots ?
"En observant ce sequoia par exemple, je me suis dit qu'un arbre capable de vivre 3000 ans devait certainement avoir une perception temporelle très différente de celles des humains. Je me suis alors demandé quel genre de réponse cette créature aurait pu donner à la question suivante: que représente l'humanité pour vous ? Eh bien en admettant qu'il ait pu répondre bien sûr, je ne serais guère étonné qu'il ait considéré les hommes comme une vatiété de parasites, dont la ridicule espérance de vie se trouvait tout juste compensée par une prolifération rapide de l'espèce. Une bactérie dangereuse, capable de provoquer la fin de la lignée sylvestre."
C’est sûr un
final renversant que s’achève le roman. Je ne peux vous en dire plus, mais
lorsque j’ai lu cet épilogue, je l’ai relu aussitôt, bouleversé, chamboulé,
anéanti que j’étais. Comment pouvais-je me douter que ce roman allait me
toucher à ce point, que sa fin allait avoir l’effet d’une gifle ?
Un coup de poing
oui. Une profondeur certaine. Une alarme aussi.
On sort de ce
texte différent. On a des questions plein la tête, des émotions plein le cœur,
et des larmes et des étoiles dans les yeux.
On a dans les
mains un chef-d’œuvre.
"Où est le problème ?! Meph, le problème est que ça me déstabilise complètement ! Quand je me trouve en sa présence, j'ai l'impression que plus aucun de mes paramètres n'est fiable. Mon cerveau est plein d'oscillations de fluctuations que je n'arrive pas à analyser..."Notre sélection sciences à l'ombre du grand arbre ...
Toujours à l'ombre: une interview de Tibo Bérard, directeur de la collection et tous nos liens Exprim' !
Ma propre interview de Tibo
Les chroniques de Sophie et Céline
Et le blog de l'auteur ... Un blog, Lightbulb15. Un projet, participatif, artistique, cinématographique.(♫)
7 commentaires:
Il faut vraiment que je le lise!
C'est une formidable chronique que tu nous livres ici mon Nana ! Argumentée, pleine d'émotions ... Je t'avais dit que ce livre n'était pas celui qui m'attirait le plus mais là, après cette lecture, ce roman vient de voir sa cote d'envie monter à grande vitesse ! Encore un Exprim qui semble fort, poignant, et qui amène son lecteur à réfléchir ! Tu pourras peut-être me le prêter ...
Zoubis !
C'est une chronique stupéfiante ( et dans le bon sens du terme ! ). Il faut absolument que je me procure ce livre ! Sinon, continuez, c'est génial ! Vos chroniques sont un vrai plaisir !
http://uncoindeterrelibredecole.blogspot.fr/
Oui vraiment !! ;)
Bien sûr cousin !
Merci :D ♥
Merci beaucoup pour ce commentaire qui me va droit au ♥ !
J'apprécie la couverture... mais c'est presque tout... c'est étrange j'aime la science pourtant. Bonne soirée!
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