S’enivrer de passé pour s’épanouir d’avenir



 « Sans doute, comme l’affirme Alex Scarrow, vaut-il mieux que nous ne puissions jamais voyager dans le temps. (…) Ce qu’Ann Brashares cherche en fait à transmettre avec son dernier roman c’est que nous sommes bel et bien maîtres du temps. En tout cas de l’avenir. Le passé est figé. Mais c’est ici et maintenant que nous pouvons faire de l’avenir un monde meilleur. » C’est avec ces quelques mots que je concluais ma chronique, il y a deux jours … Mais ne serait-ce pourtant pas fabuleux et enrichissant de pouvoir voyager dans le passé, si le danger de tout bouleverser était inexistant ? S’enivrer de passé pour s’épanouir d’avenir ? Les enseignements de l’Histoire et ses tortueuses évolutions ne sont-ils pas la base essentielle à notre construction future ? La question est discutable sur certains points, mais reste rhétorique. La connaissance du passé est un premier pas vers la liberté. Et quelle liberté lorsque, dans la fiction, elle permet le voyage temporel !

Et pourtant, elle n’apparaît pas toujours ainsi … Dans Le léopard d’argent, le roman qui est l’objet de cette chronique aujourd’hui, c’est accidentellement que Mona, le soir où, avec son père dans un musée (puisqu’il en est le conservateur), elle fête ses treize ans, est projetée dans le passé, au Moyen-Âge où elle se retrouve … bloquée. Dès lors le passé n’apparaît que comme une prison de temps, des années infranchissables comme murs, une ligne temporelle qu’il ne faut pas bouleverser comme gardienne.
Mona va alors faire la connaissance de Colin puis de son maître, l’orfèvre Isaac. Et, de fil en aiguille, s’attacher à ce jeune garçon et ce vieil homme, bien qu’il faille un jour retourner chez elle, ce qu’elle souhaite ardemment. Tiraillée entre ces deux univers, ces deux époques, ces deux familles, la voilà lancée dans une aventure pour s’adapter au passé et chercher le moyen de revenir dans le présent !

Quelques questions à Anne Samuel

N : Quel parcours avez-vous suivi jusqu'à aujourd'hui ? Professionnellement et littérairement parlant ...
Anne Samuel : J’ai fait des études de cinéma, tout en me passionnant pour la littérature et l’histoire de l’art… Pendant plus de dix ans, j’ai été chargée de communication pour les Musées de la Ville de Paris. Aujourd’hui, je suis à la fois écrivain biographe, rédactrice et enseignante en culture générale et artistique.
J’ai découvert les livres grâce à mes quatre sœurs qui m’ont guidée dans mes choix dès l’adolescence. Très vite, je suis tombée amoureuse des romans historiques. J’ai toujours trouvé jubilatoire de comprendre l’Histoire - avec un grand H - tout en vivant des péripéties incroyables. Sous Louis XVIII, j’ai eu l’impression de me venger avec Le comte de Monte-Cristo, comme d’avoir fui la Révolution russe avec La dame de Kiev de Sylvie Dervin… Je dois aussi avouer que de très nombreux livres me sont tombés des mains après la saga des Harry Potter dont je suis absolument fan.
N : Comment sont nées les Lueurs de traverse ?
AS : Je place la littérature très haut et, même si je rêvais d’écrire, j’ai longtemps eu peur de me lancer. Le déclic a été de voir mon fils peiner à apprendre ses cours sur la période médiévale. J’ai vraiment eu envie de lui donner le plaisir que j’avais moi-même ressenti à son âge. J’ai d’abord pensé à une série de romans historiques. J’y ai vu l’occasion de fusionner tout ce qui me fait vibrer : le cinéma de science-fiction, l’art, le travail de mémoire… J’ai crée le personnage de Mona et j’ai écrit le roman que j’aurais adoré dévorer quand j’étais adolescente.
N :  Comment ont-elles été amenées à une publication chez les petites moustaches ?
AS : Quand j’ai terminé l’écriture du premier tome, j’ai participé au concours Gallimard Jeunesse mais je n’ai pas été sélectionnée parmi les finalistes… J’ai laissé mon manuscrit de côté pendant plus d’un an, puis j’ai décidé de le reprendre, le corriger et le remettre en forme avant de l’envoyer à des éditeurs mieux ciblés. Lors d’une de mes visites à la librairie Mollat, j’ai découvert Lucie dans tous ses états de Sophie Guillou aux éditions Les petites moustaches. J’ai trouvé le livre beau, bien fait et j’en ai noté les références. En faisant quelques recherches, j’ai découvert que l’éditrice s’était spécialisée dans le roman pour adolescents et je me suis décidée à lui envoyer. Dix jours plus tard, Sophie Gallo-Selva me proposait un rendez-vous. Son enthousiasme et notre perception commune de la Littérature jeunesse m’ont convaincue de signer avec elle.

Ce qui est épatant dans ce court roman d’à peine 120 pages, c’est la facilité avec laquelle la fiction et l’Histoire s’emmêlent. Avec un style simple, très descriptif et justement dosé dans son équilibre entre les descriptions et l’action, l’auteur arrive à captiver progressivement le lecteur qui s’attache aux personnages –la jeune et forte Mona, le rayonnant et touchant Colin, le tendre Isaac- et se passionne pour cette intrigue bien menée, avec vigueur, énergie ! Finalement, on se retrouve à fermer le livre en se disant : « Mince, et la suite ?! ».
Et à travers cette histoire de fiction vraiment prenante, il y a un contexte historique –le Moyen-Âge- très présent sans être écrasant. A la fin du livre, on retrouve une sorte de lexique, des notes historiques, auxquelles renvoient, pendant tout le roman, des symboles, dessinés par l’illustratrice de la couverture (Sibylle Ristroph). L’avantage de les placer à la fin est la liberté que cela offre au lecteur : ne pas les lire si cela le chante, ou les lire pendant la lecture ou à la fin pour ne pas le couper dans son élan ! Ce serait bien sûr dommage de s’en passer, puisqu’elles apportent historiquement beaucoup.

N : Le lexique : une idée de vous, de Sophie, ou commune ?
AS : Dans mon manuscrit, les notes historiques figuraient en fin de chapitre mais dans la conception, j’avais envisagé de les placer dans la marge afin de ne pas casser le rythme sur lequel j’avais beaucoup travaillé. Les essais n’ont pas été convaincants et Sophie Gallo-Selva a souhaité les reporter en fin de livre. De peur qu’elles ne passent inaperçues, je lui ai proposé de les signaler par un symbole évoquant la broche du Léopard. Elle a alors eu l’idée d’icônes spécifiques pour chaque note et a demandé à Sybille Ristroph, l’illustratrice de la couverture, de les réaliser.
N :  Avez-vous effectué beaucoup de recherches pour son écriture ?
AS : J’ai fait de très nombreuses recherches : je voulais absolument que toutes les références historiques soient au plus près de la réalité. J’ai particulièrement travaillé sur l’orfèvrerie, l’organisation du travail, la vie monacale et l’usage des couleurs au XIIe siècle…
N : Vous aussi estimez-vous avoir un rôle à jouer dans la littérature jeunesse actuelle, auprès des enfants et plus particulièrement localement puisque le Léopard d'argent est très proche de l'Histoire bordelaise ?
AS : J’espère leur proposer une aventure différente de celles qu’ils connaissent déjà, qui donne à voir et à comprendre un patrimoine historique, artistique et local d’une richesse inouïe.

Par ailleurs, c’est en m’interrogeant sur l’histoire de Mona que je me suis retrouvé un peu perdu. C’est un personnage attachant, finement construit avec un caractère fort et attentionné, un style excentrique, décalé mais juste et une profonde affection pour sa famille. Mais lorsqu’elle se retrouve projetée dans ce nouvel univers, le passé, elle cherche en effet à s’installer, à avoir un endroit où (sur)vivre mais ne se prend, selon moi, qu’assez tard à vouloir retourner chez elle, alors qu’elle aime tant son père (adoptif). J’ai trouvé l’évolution psychologique du personnage un peu tâtonnante, bien que l’auteur arrive tout de même à exprimer avec justesse les sentiments de sa héroïne.
Et puis le début et la fin, bien que l’un soit intriguant et l’autre captivant, m’ont semblé bien trop rapides, voire incohérents. Cette chute (chuuut, pas de spoilers) et l’intrigue même du voyage dans le temps (à part la broche et l’enluminure, il n’y a aucun écart temporel) prennent quelques facilités qui auraient méritées d’être revues et approfondies.
Le début et la fin sont donc rapides, oui. Mais essentiels !
Parce que finalement, c’est peut-être dans la réponse à une dernière question posée à cette auteure, portant pourtant sur l’avenir, que l’on trouvera la réponse à mes interrogations et un nouveau regard sur ces seuls passages qui m'ont déçu :

N : Et après ? Que l'avenir vous/nous réserve-t-il ?
AS : Mona va poursuivre la quête de ses origines à travers d’autres périodes clefs de l’Histoire et de la création artistique, ainsi qu’à travers d’autres régions, mais le mystère restera entier jusqu’aux prochains tomes…

Toujours est-il que le pari est réussi pour Anne Samuel, puisqu’elle offre aux jeunes lecteurs, dans ce petit roman paru dans une petite maison d’éditionBordelaise (dont on reparlera demain …) un ouvrage de qualité, intriguant, prenant, riche en Histoire et en aventure. Un premier tome prometteur qui nous propose avec tendresse, bien qu’un peu confusément, de partir avec Mona dans le passé du monde … et dans la quête de ses origines encore bien mystérieuses.

1 commentaires:

Boom a dit…

Il a l'air vraiment pas mal à découvrir ! :D

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