Je veux vivre.



Je veux vivre. Tel est le cri poussé par le personnage du roman du même nom, écrit par Jenny Downham. Je veux vivre, s’exclame Tessa de toutes ses forces. Les moindres forces qu’il lui reste. 

« Je voudrais une grande salle sombre où l’on peut à peine bouger tant les corps se frôlent. Je veux entendre un millier de chanson avec le son à plein tube. Je veux danser si vite que mes cheveux repoussent et que je me prenne les pieds dedans. Je veux que ma voix retentisse assez fort pour couvrir le rythme lancinant des basses. Je veux avoir trop chaud et croquer des glaçons pour me rafraîchir. » 

Mais là est le problème. Tessa a une pneumonie. Tessa va bientôt mourir. Tessa pourra s’accrocher à la vie tant qu’elle veut, elle mourra.

Je n’ai pas tant aimé le livre que je ne l’aurais cru. Que je ne l’ai espéré. Je l’ai trouvé trop déprimé et déprimant. Alors oui les personnages désespérés c’est normal, alors oui l’intrigue est fracassante. Mais je ne peux m’empêcher de le comparer à Nos étoiles contraires que j’ai lu à peu d’intervalle de Je veux vivre. Le roman de John Green est si lumineux, les dialogues sonnent si juste, l’histoire d’amour est si touchante. Je veux vivre est beaucoup plus sombre, plus cassant, plus désespéré. Trop ? Je veux vivre m’a semblé parfois, sous la voix de Tessa, un peu maladroit. L’histoire d’amour évidente. Comme chez John Green bien sûr, mais ici plus. Alors : Nos étoiles contraires trop parfait ? Je veux vivre trop sombre ? Peu importe au final, l’un et l’autre sont justes et bouleversants.

Il n’empêche. Repenser au roman, en reparler, c’est remuer mes souvenirs. Et ce que je garde est positif. Un attachement profond pour l’adorable Adam dont elle est amoureuse. Une famille qui devient un peu la nôtre, qu’on aimerait consoler. Une amie un peu agaçante. Mais une amie qui, malgré une Tessa malade, veut vivre aussi. Alors peut-être est-elle un peu égoïste. Mais elle aussi a ce besoin de se fracasser contre l’existence. Et elle aura, elle aussi, besoin d’une amie.
Tessa enfin, on s’y attache. Malgré ses défauts, malgré sa fureur. Sa colère. Parce qu’elle veut vivre, et ça on le comprend. 
« Je ne suis pas encore prête. Je veux regarder le gros nuage qui fonce sur le soleil. Je veux voir le ciel virer du gris au noir. Le vent va se lever, et toutes les feuilles se décrocher des arbres. Je veux courir derrière elles. Et faire des centaines de vœux. »
Donc finalement on s’y accroche. On s’accroche à Tessa. Elle s’accroche à la vie. On ne veut pas voir ce qui est. Elle veut éviter l’inévitable. C’est tragique. C’est réel. 
Et quand la fin, comme elle ne pouvait être autrement, tombe, alors on est encore là. Et on a la gorge lourde de larmes qui nous font nous sentir vivants.

Alors moi aussi. Moi aussi
je veux vivre. 
Je veux sentir l’herbe, la neige, la pierre, le sable sous mes pieds. Entendre frotter, caresser, crisser, glisser, craquer. Je veux goûter les légumes, les fruits, les friandises, les viandes. Goûter à la vie. Goûter au soleil, à l’été et sa chaleur, goûter à l’hiver, au froid et au feu de cheminée, au chocolat chaud. Goûter aux larmes, aux déceptions et aux chagrins, mais aux joies, aux plaisirs, au bonheur. Je veux voir le bleu du ciel, le rouge des flammes, l’orange du soleil couchant, le blanc des nuages, le vert de la nature. Je veux voir les beautés du monde et les voir et voir et voir jusqu’à n’en plus pouvoir. Et je veux vivre. Je veux être là, être là pour exister, pour mes amis, pour ma famille. Je veux danser, crier, sauter, hurler, courir, tomber et me relever, je veux aimer. Je veux être aimé. Je veux avoir un seul nom sur les lèvres, un seul visage dans mon esprit, une main dans la mienne, quelqu’un dans mes bras, un regard dans le mien.

Et c’est ce cri, cette volonté qui vient du fond du cœur, que perpétuent un bon nombre de romans. Qu’ils soient bons ou mauvais.

C’est le cri de Juliette, 15 ans. Juliette en montagne un été. Juliette sur un canoë. Juliette qui rencontre un jeune homme un peu mystérieux, mais séduisant. C’est l’histoire de leur rencontre. L’histoire … de leur histoire. C’est l’histoire des voyages qui forment la jeunesse, des premières fois, d’une entrée dans la vie. Une histoire décevante pour ma part, un peu ennuyante, inaccessible malgré un style qui coule et roule avec douceur. Mais c’est cette histoire-là.
« J’entends, dans un souffle, l’enfance passer, et ses murmures dans mon cou me parcourir le corps. Des mots pour voguer sur la voie lactée qui s’allume au-dessus de nos têtes. Je ne connais pas ce silence, après la furie de nos doigts tremblants et gauches, nos souffles redevenus réguliers, et cette larme sur ma joue. »

C’est le cri de Tamara. Jeune étudiante qui retrouve Belgrade et son pays détruit. Son pays rendu méconnaissable par la guerre. Un cri violent, cassé et frappant. Un peu dur. Un peu trop pour moi, un peu trop d’écart entre ce cri et moi. Mais une envie quand même. Qui se traduit par une passion. Une passion dévorante, une passion qui avait été frustrée. Une passion qui pourrait bien les consumer.

C’est le cri de Molly. Le cri de ces étudiants noirs, le cri de tous ces noirs qui ont subi la ségrégation. Un cri qu’Annelise Heurtier retranscrit avec beaucoup de force, de justesse, avec un petit peu de trop de recul, pas assez d’émotion parfois, mais un cri quand même. Celui universel de ces discriminés qui cherchent juste à vivre comme tout le monde. Vivre, est-ce trop demander ?
« Le cœur de Molly se mit à battre la chamade. Ils avaient beau faire partie de quelque chose de grand, de juste, quelque chose qui les dépassait, il n'en restait pas moins que, maintenant, c'était à eux seuls de se lancer. A eux de le vivre. »

Et enfin, c’est le cri, bien que timide, de Gaspard Corbin. Ce héros de la trilogie écrite par Stéphane Daniel. Un cri en forme de rire. Un style débordant d’humour et de coins où s’esclaffer. Beaucoup beaucoup de références parfois assommantes pour qui ne les connaît pas. Mais un adolescent. Un adolescent qui, dans un tome supplémentaire toujours aussi frais et hilarant mais qui, peut-être, s’essouffle un peu avec l’apparition d’un nouveau personnage féminin et l’espoir détruit du bon fonctionnement d’une relation à distance. Un cri en forme de rire d’un adolescent qui se lance dans la vie.

 Alors cet article est peut-être un cri lui aussi, un cri un peu larmoyant, mais sincère. Vivez. C’est tout ce que je dirai pour finir. Vivez de tout votre être, parce que c’est pour cela que nous existons.